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« Intervozes lutte pour la démocratie et la liberté, afin que chacun, quelle que soit sa religion, sa race et son origine, soit respecté, vu et entendu. C’en est fini de l’invisibilité. Rejoignez la lutte pour le droit de communiquer ! »
C’est par cette déclaration de principes que l’ONG brésilienne Intervozes souhaite la bienvenue aux visiteurs de son site, qui vise à sensibiliser le public brésilien au fait que la liberté d’expression doit être un droit pour tous. L’ONG emploie diverses stratégies de lutte pour le droit à l’information et pour la diversité et la pluralité dans le domaine des communications, offrant ainsi un moyen pour les citoyens et les organisations citoyennes de s’engager constructivement dans la lutte pour la réforme des médias. APC s’est entretenu avec Veridiana Alimonti et Bia Barbosa, des membres de l’équipe, peu après qu’Intervozes ne soit devenue membre d’APC.
APCNouvelles: Vous travaillez avec des groupes dont les médias donnent une image déformée voire préjudiciable. Pouvez-vous nous en dire plus sur ces groupes et sur votre manière de travailler avec eux ?
Intervozes: Nous œuvrons en faveur de l’amélioration de l’image que les médias donnent de tout un chacun, à travers des réglementations et des politiques qui permettent de résoudre la question de l’impressionnante concentration des médias de masse au Brésil. L’application du droit de communication dépend de la présence d’une véritable diversité et pluralité des médias. C’est dans ce but qu’Intervozes associe les activités de plaidoyer et de suivi avec la sensibilisation, la coordination politique avec des mouvements sociaux et la production de contenu. Nous sommes convaincus qu’un système public de communications comme on le voit dans la tradition européenne, avec une participation sociale dans la programmation et le financement lui-même, est l’une des solutions pour avoir des médias représentatifs et diversifiés. Voilà pourquoi l’un des principaux piliers de notre travail consiste à renforcer le système public brésilien, sérieusement mis à mal ces derniers temps.
En ce qui concerne les effets néfastes du manque de démocratie des médias sur la mauvaise presse donnée à certains groupes, Intervozes fait partie du Women and Media Network [Réseau femmes et médias], qui s’intéresse aux délits de genre commis par les médias en les dénonçant auprès du public général ou auprès des autorités compétentes. Le Réseau a également pour vocation de favoriser le débat public envers la déformation de l’image des femmes dans les médias, qui les décrivent comme s’il s’agissait de produits, des êtres inférieurs ou des cibles d’une violence vue comme naturelle.
Tout cela s’inscrit dans un problème plus général lié aux violations des droits humains dans le système médiatique, qui touche d’autres groupes vulnérables. En 2016 Intervozes a lancé une campagne toujours en cours, appelée Médias sans violations, afin de dévoiler et dénoncer les violations aux droits humains, tout particulièrement dans les programmes télévisés qui présentent des crimes et suivent le travail quotidien de la police. Ce type de programme humilie les suspects et leurs familles, et donne lieu à de nombreuses infractions envers les droits humains et l’application de la loi. À partir des plaintes reçues, le site de la campagne établit un classement de ces violations. Intervozes lutte également pour le respect des droits des enfants et des jeunes dans la programmation télévisée, et soutient les mesures administratives et judiciaires permettant de garantir qu’aucun contenu à caractère abusif ne sera diffusé pendant des horaires inappropriés..
APCNouvelles: Vous dites que l’analyse critique est une compétence essentielle dans une démocratie. Comment y contribuez-vous ?
Intervozes: Nous publions fréquemment les analyses de notre blogue concernant la couverture médiatique dans un magazine progressif brésilien, surtout lors d’événements important dans notre scène politique (par exemple, l’escalade qui a mené au coup d’État contre la présidente Dilma Rousseff ou la couverture médiatique des journées de mobilisation nationale contre les réformes d’austérité). Nous tentons de démontrer à quel point cette couverture est inégale, comment elle omet des informations importantes, comment seul le point de vue de l’une des parties est écouté et comment la posture de l’entreprise de médias est exposée comme un fait et non comme un point de vue éditorial. Nous avons en outre publié deux rapports plus approfondis sur l’évaluation et les données prouvant la partialité des médias. Le premier a été terminé en 2011 et concerne la couverture médiatique d’une commission parlementaire au sujet du Mouvement brésilien des travailleurs ruraux sans terre (MST). Le second, publié en 2014, concernait la couverture médiatique des protestations de masse qui ont eu lieu au Brésil en juin 2013.
APCNouvelles: Selon vous, « l’internet ne sera probablement pas un moyen efficace d’instaurer une pluralité de voix sur le court terme » – pourquoi ?
Intervozes: L’internet a sans nul doute la capacité de favoriser grandement la pluralité et la diversité des communications, et a déjà prouvé à de nombreuses reprises comment il permet d’améliorer l’exercice des droits humains. Il convient toutefois de reconnaître que les problèmes et défis liés aux médias de masse traditionnels n’ont pas disparu après son avènement. La concentration impressionnante de ce marché et les modèles innovants pour contrôler l’accès à l’information ne cessent de consolider la montée en puissance de nouveaux intermédiaires qui peuvent déterminer comment les informations seront partagées et comment on pourra y avoir accès dans le monde, reproduisant le plus souvent la dynamique de « bulles » et renforçant les préjugés culturels (à travers l’application des valeurs nord-américaines comme normes « universelles »). De plus, la fracture numérique, visible dans l’inégalité dans l’accès à, l’utilisation et le développement des TIC entre différents pays et populations, a engendré un réseau dans lequel le contenu est principalement en anglais et où subsistent les inégalités de genre, de religion et d’ethnicité, pour n’en citer que quelques-unes.
APCNouvelles: Quelles sont les plus grandes difficultés dans votre travail ? À quels obstacles vous heurtez-vous le plus ?
Intervozes: On peut dire que pour atteindre notre objectif principal, qui consiste à promouvoir et garantir le droit de communiquer, on est essentiellement confrontés dans notre travail à trois éléments. Tout d’abord, il y a la résistance concertée du marché des médias et des communications, extrêmement forte, d’autant plus lorsqu’il s’agit de former l’opinion publique sur les sujets prioritaires et sur ceux qu’il conviendra de rejeter. Cette influence nous amène au deuxième élément, l’immobilisme des gouvernements face au flagrant manque de diversité et de pluralité des médias au Brésil – un mélange de pressions efficaces exercées par les compagnies de communications et d’absence de vision politique de la part de ces gouvernements quant à l’importance de cette question pour notre démocratie. Enfin, le troisième élément est lié au manque de sensibilisation de la population en général concernant son droit à communiquer, dont le discours reproduit le plus souvent celui des compagnies des médias selon qui la régulation ou les politiques relatives à la communication ne feraient que freiner la liberté d’expression au lieu de la favoriser. Ces trois éléments sont tous liés et notre travail consiste justement à nous y confronter et à les dépasser pour instaurer une conception plus riche de la communication.
APCNouvelles: Parlez-nous de vos succès. Quelles répercussions votre travail a-t-il eues dans votre communauté ?
Intervozes: Nous aimerions faire part de trois histoires qui montrent bien notre manière de travailler sur ces questions de communication.
La première est l’approbation du Cadre brésilien des droits civils relatifs à l’internet (Marco Civil). Intervozes a rejoint la coalition d’organisations largement engagées dans le suivi et la contribution aux procédures pour le Marco Civil au Congrès national du Brésil. C’est surtout au cours de 2013 et 2014 que nous avons joué un rôle stratégique avec nos nombreuses activités. Étant l’une des rares organisations de la société civile avec une représentation permanente à Brasilia [la capitale nationale], notre contribution pour établir le lien entre ce qui se passait au jour le jour au Congrès et les initiatives de mobilisations de la coalition d’ONG s’est avéré un facteur important parmi ceux qui ont finalement abouti à l’approbation du Marco Civil en 2014.
Le deuxième exemple remonte à 2006. En partenariat avec le Bureau du procureur fédéral et d’autres organisations, Intervozes a porté plainte contre une chaîne de télévision et nous avons obtenu de proposer une contre-programmation des violations aux droits humains. Suite à quoi nous avons coordonné l’élaboration et la production de 30 programmes télévisés qui ont diffusé plus de 400 vidéos réalisées par des producteurs indépendants. Cette série de programmes télévisés s’appelait “Droits de réponse”.
Enfin, en 2009, nous avons participé à la première (et unique jusqu’à présent) Conférence nationale sur la communication, où plus de 30 000 personnes de tout le pays ont discuté des politiques de communication au Brésil. Il s’agissait d’un processus de consultation publique organisé par le gouvernement fédéral et coordonné par un certain nombre d’organisations de la société civile, dont Intervozes. Notre tâche consistait à mobiliser les mouvements populaires et les activistes dans les États et les régions où nous travaillons pour les amener à participer au processus, émettre des propositions de politiques publiques qui seraient par la suite amenées à être débattues puis votées, élaborer du matériel de diffusion et d’information sur le secteur des communications pour les différents niveaux de discussion, négocier des propositions de politiques publiques avec les autorités à tous les niveaux, et discuter de ces propositions avec le secteur privé. Au cours de ce processus, Intervozes a réussi à être élue dans l’une des plus nombreuses délégations de la société civile pour l’étape nationale de la Conférence, et la plupart de ses propositions ont été approuvées par les délégués. Après le processus, le mouvement pour la démocratisation des médias a connu une grande croissance dans le pays.
APCNouvelles: Pour quelles raisons avez-vous rejoint le réseau APC ? En quoi pensez-vous pouvoir contribuer en tant que membre et qu’attendez-vous d’APC ?
Intervozes: Intervozes travaille sur les questions liées à l’internet depuis maintenant près de 10 ans, toujours dans l’objectif de contribuer aux politiques de TIC pour la défense des droits humains. Nous sommes conscients qu’il s’agit là d’un champ de bataille international ; voilà pourquoi il est de plus en plus important que les organisations dépassent le niveau national, d’autant que c’est également la façon d’agir des puissances économiques. Nous joindre au réseau d’APC est une manière de le faire. APC est depuis longtemps une référence pour nous, réalisant un formidable travail sur ces mêmes principes que nous valorisons et tentons d’appliquer. En tant que collectif d’activistes à portée nationale, nous pouvons quant à nous contribuer au réseau en apportant une perspective plus large sur la problématique de l’internet au Brésil, qui va de l’accès aux données privées à la liberté d’expression, et en partageant ce qui a été réalisé dans le pays par la Coalition pour les droits de l’internet, qui rassemble 40 entités dans ce domaine. Nous avons également l’intention d’articuler les initiatives régionales et mondiales d’APC dans notre travail à niveau national, et de créer des synergies et des partenariats.