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« Toute victime a besoin d‘être crue, d‘être écoutée, de pleurer, de crier ou de garder le silence, d‘être déculpabilisée, d‘être normalisée dans ses réactions, de voir ses attentes vérifiées d‘être appuyée et soutenue, d‘être respectée dans son rythme, d‘être sécurisée, encadrée et de reprendre du pouvoir sur sa vie, entre autres ». Voici la citation qui ouvre la nouvelle publication d’APC et AZUR Développement, intitulée « Cartographie en ligne de la violence domestique dans la République du Congo – Renforcer l’accès à la justice, la santé et la réinsertion sociale pour les survivantes ».
Il s’agit d’une citation de Sylvie Niombo, responsable de la mise en œuvre dans ce pays africain du projet de 2 ans « Tenir les gouvernements pour responsables du combat contre la violence basée sur le genre en République du Congo » coordonné par APC avec le soutien d’Africa Technology and Transparency Initiative (Africatti), projet dont cette publication est le résultat.
Depuis plus de 20 ans, le Programme des droits des femmes d’APC travaille activement à faire en sorte que les femmes et les activistes des droits des femmes soient connectés et le restent. Le monde continue d‘être un lieu où les femmes sont de façon disproportionnée les cibles de la violence, et la massification de l’accès à l’internet a tendance à renforcer le harcèlement, le harcèlement électronique et le chantage des femmes en ligne. APC s’est engagée dans ce projet avec AZUR Développement, un membre d’APC actif depuis 2007, pour cartographier avec la même plateforme la violence domestique en République du Congo entre décembre 2011 et mars 2014.
Cette initiative a permis de démontrer la forte incidence de la violence domestique contre les femmes et les filles au Congo, d’identifier les formes récurrentes de violence, d’améliorer considérablement la documentation des cas de violence conjugale, de faire une veille sur les réponses des agences et organismes de loi, de santé et de soutien juridique, et finalement de convaincre le gouvernement de faire de la violence conjugale une priorité d’action.
L‘élaboration de cette plateforme de cartographie en ligne a facilité le suivi des cas et produit des cartes qui permettent de visualiser les engagements et les services du gouvernement, de la police, des centres de santé et des tribunaux pour les tenir pour responsables du combat contre la violence envers les femmes et les filles.
Pendant le conflit et après, le gouvernement et les agences gouvernementales dans les départements, les OSC et les églises ont recueilli systématiquement des données sur la violence sexuelle au Congo. Une analyse de la situation réalisée par l’UNICEF en 2008 a conclu que la grande faiblesse de ce travail était le manque de coordination entre les différentes institutions, notamment l’absence d’un ensemble commun d’outils.
Partant de cette situation, la création d’une carte en ligne a conduit les OSC à repenser leurs stratégies de lutte contre la violence domestique et sexuelle et surtout à travailler ensemble. Ce projet a permis aux OSC de définir une stratégie plus efficace pour lutter contre la violence faite aux femmes et aux filles en rationalisant le travail d’APC et d’AZUR Développement et en utilisant la technologie pour faire connaître le problème dans tout le pays.
Grâce à l’appui du gouvernement et de l’ambassade de France, le projet a pu ouvrir des « guichets d’assistance aux victimes de violence » dans chaque ville. Un centre à Pointe-Noire et un autre à Nkayi donnent des conseils. La police, la gendarmerie et les tribunaux ont mis à disposition de ces guichets du personnel de liaison.
Cette publication, particulièrement utile pour les organisations de droits des femmes et de TIC pour le développement, les organismes de l’ONU, le personnel de santé, les législateurs et décideurs politiques et les services juridiques, rassemble les apprentissages et les défis de tous les acteurs de ce projet et réfléchit aux mesures à prendre pour tenir les gouvernements, la police, les services de santé et les tribunaux pour responsables de leurs engagements pour mettre fin à la violence envers les femmes et offrir un soutien aux victimes.
Pourquoi la République du Congo ? Mise en contexte
Les normes culturelles et la violence domestique : Le Congo est une société patriarcale. Une femme a « réussi » lorsqu’elle est mariée et a des enfants. Le taux de violence domestique et d’inceste est assez élevé. Les femmes et les filles apprennent à se taire et à accepter que la violence familiale fasse partie de la vie conjugale. AZUR Développemet indique que l’on donne aux hommes le droit de faire des « erreurs » dans leur conduite domestique et sexuelle. L‘étude a montré que de nombreuses femmes n‘étaient pas prêtes à condamner publiquement leur mari. Elles invoquent souvent le déshonneur. Les femmes retirent parfois leur plainte sous la pression de la famille ou par nécessité économique.
Manque d’information : Certaines femmes croient que la violence est normale. Elles ne savent pas qu’il s’agit d’une infraction pénale et que non seulement elles n’ont pas à le supporter, mais elles ont le droit de demander réparation et des changements. La tolérance à la violence domestique peut être renforcée dans les familles et les communautés qui ont des croyances religieuses conservatrices et où les femmes sont censées être soumises.
Violence sexuelle : Le Congo sort d’une décennie de conflit armé au cours duquel le viol et la violence sexuelle ont été utilisés comme armes de guerre. La violence familiale, le harcèlement sexuel et l’inceste sont toujours fréquents. Plus de 15000 cas de violence sexuelle ont été signalés en 2009. Plus de la moitié des victimes avaient moins de 18 ans. Notre enquête estime que seulement 10 % des incidents sont signalés.
Législation et système judiciaire : Le gouvernement du Congo s’est engagé à éradiquer la violence fondée sur le genre lorsqu’il a signé la Convention des Nations-Unies sur l‘élimination de toutes les formes de discrimination à l‘égard des femmes (CEDEF) en 1982 et plus récemment le Protocole de Maputo, qui vise à protéger les droits humains et les droits des femmes dans toute l’Afrique, en 2007.
Mais le Code pénal et le Code de la famille ont été rédigés en 1810 et 1984 respectivement. Les droits des filles se sont améliorés grâce à une loi de 2010 qui protège les enfants contre la violence. Étant donné le nombre et la gravité des cas de violence sexuelle et domestique, la surveillance des violations et la réponse des secteurs juridiques et de la santé est nettement insuffisante.
Le système judiciaire défavorise le signalement d’un crime ou une solution judiciaire pour les victimes. La culture patriarcale du Congo encourage la tolérance de la société pour la violence domestique par tous les acteurs. Les agresseurs ont tendance à rester impunis. Cette inégalité profondément ancrée est formalisée dans le cadre légale, au point que le viol conjugal n’est pas criminalisé dans le droit congolais.
Accès aux technologies : Au Congo, une personne sur 100 seulement possède une ligne de téléphone fixe. En revanche, neuf personnes sur dix ont un mobile. L’accès à l’internet est cher, en partie en raison des aléas de l’alimentation électrique, si bien qu’en réalité seulement sept Congolais sur 100 sont connectés.
Services de santé publique : La population en général n’a pas d’assurance maladie. Les quelques médecins traitants font de leur mieux, mais ils sont souvent mal payés, sous-équipés et subissent fréquemment la pression de membres de la famille inquiets. Dans presque tous les centres, y compris les hôpitaux, les équipements médicaux sont élémentaires ou manquants. Les kits de viol sont pratiquement inexistants en dehors de la capitale.
Traumatismes et soutien psychologique : Les victimes de violence souffrent souvent d’un certain nombre de séquelles psychologiques graves. Mais dans la population congolaise, les victimes et leurs familles sont très peu sensibilisées aux conséquences et à l’existence de traitements. Notre étude a donc révélé qu’au moins 90 % des victimes ne demandaient pas de soutien psychologique, et l’absence d’un personnel spécialement formé dans le traitement médical et psychologique des victimes de violence sexuelle et physique à Nkayi et à Pointe-Noire.