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Kéfir est une coopérative féministe pour les technologies ouvertes/libres qui rassemble les activistes, défenseures des droits humains, journalistes, organisations de la société civile, collectifs et artistes souhaitant créer des espaces sûrs et libres (dans le sens de liberté) sur l’internet. En août 2017 elle a rejoint le réseau d’APC. Lors de l’entretien qui suit, ses membres parlent à APC de confiance, de peur, et de la nécessité de créer des communautés numériques.
APCNouvelles : Vous mentionnez souvent les mots « confiance » et « peur » lorsque vous parlez de votre travail. Pouvez-vous nous expliquer en quoi ils sont si importants pour vous ?
Kéfir : L’internet est de plus en plus aspiré, quantifié, écrasé, soumis par le capitalisme qui s’étend à tous les aspects de nos vies. Il n’est plus possible de choisir d’en sortir, ça ne dépend plus de nous d’être « en ligne » ou non avec le système. La violence s’est installée par défaut. Et oui, nous réclamons ce territoire, nous réussissons à atteindre les autres, à apporter notre soutien, partager des expériences, danser et provoquer des émotions, mais il y a trop de corps, de voix et de vies constamment menacés. Notre liberté est meurtrie mais nous continuons tout de même. Et face à un tel scénario, on a parfois le sentiment qu’on tente d’en réduire la portée dans le seul but d’ouvrir un petit espace qui nous permette de respirer, de « réguler » toute cette haine et ce cynisme.
Lorsque la violence vous entre dans la peau, vous apprenez à marcher en vous tenant prêt à vous défendre, le corps alerte, et il ne s’agit pas forcément d’une peur explicite ou consciente, ni même d’une peur qui vous fasse rester dans votre coin, mais c’est le fait de réaliser que quelque chose peut arriver n’importe quand, cette poussée d’adrénaline qui se prolonge.
APCNouvelles : Votre métaphore de « communautés numériques » est très intéressante. Comment serait votre « communauté numérique » idéale (ou celle dans laquelle vous aimeriez vivre) ?
Kéfir: L'idée de « communautés numériques » est une idée tant poétique que politique qui a germé au Laboratorio de Interconectividades, le projet de collègues qui a influencé et inspiré le lancement de Kéfir. Quand on dit que «nous devons nous rassembler pour créer des communautés numériques dans lesquelles on puisse avoir confiance les uns envers les autres, s’exprimer et agir/susciter des actions sans crainte », ce qu’on veut dire c’est qu’ensemble, il faut créer et enrichir des territoires où on puisse se détendre, baisser notre garde et nous sentir « chez nous ». Il faut pour cela de nombreuses compétences « techniques », mais aussi la valeur fondamentale de se connaître les uns les autres et de pouvoir créer des liens.
APCNouvelles : Parlez-nous de votre nom, Kéfir, et de la composante « fermentation » de votre travail
Kéfir : « Kéfir » vient de « kief », « se sentir bien » mais pas uniquement dans le sens de « ne pas se sentir mal », plutôt dans celui d’ouvrir tous les pores de notre corps et de sentir qu’on a le temps, le temps d’avoir le temps, l’envie d’expérimenter, de changer, de voir « ce qui arrivera », de laisser mariner les processus. Comme un bouillon de culture qu’on laisserait fermenter dans un pot d’argile…
C’est peut-être là le plus grand défi : trouver le temps de nous occuper de nous et des autres sans se préoccuper du tic-tac autour de nous. On jongle avec les projets, on est attrapés dans la spirale de rythmes infernaux et pour nous, cela a un effet direct sur les initiatives et les processus qui souffrent déjà d’inégalités dans la dynamique des pouvoirs.
APCNouvelles : Pour quelles raisons avez-vous rejoint le réseau APC ? Comment pouvez-vous contribuer au réseau et de quelle manière pensez-vous que le réseau aidera Kéfir ?
Kéfir : Kéfir a décidé de se joindre à APC sachant qu’il s’agit d’un réseau qui existe depuis assez longtemps pour avoir déjà tremblé, appris de ses expériences, découvert des manières aussi simples que magiques d’entretenir les relations… Il nous semble qu’il y a de nombreuses manières de s’aider les uns les autres et d’ouvrir de nouvelles routes.
La question de savoir comment nous prêterons main-forte au réseau d’APC est totalement ouverte. Nous aimons imaginer que nous pourrons vous provoquer de différentes manières pour le moment heureusement impossibles à prévoir. Pour vous répondre plus directement, nous pouvons tout de même vous dire que nous nous intéressons aux intersections entre travail, économie, trans-féminisme et technologies, que nous sommes enthousiastes à l’idée de réinventer des méthodologies qui nous permettent de nous plonger dans ces questions sans forcément rédiger de rapports, organiser de conférences ou alimenter de listes de diffusions. Nous espérons pouvoir apprendre à nous connaître petit à petit, partager des moments sur le clavier mais aussi en dehors. Pour le moment, nous vous invitons juste à nous écrire si vous le souhaitez, par pure curiosité. Nous vous répondrons avec plus d’informations sur ce que nous mijotons pour les prochains mois. D’ici là, l’île flottante de Kéfir vous salue chaleureusement.
APCNouvelles : Un dernier message pour la communauté APC ?
Kéfir : Si quoi que ce soit dans ce qui est mentionné dans cet article vous inspire, n’hésitez pas à les cuisiner à votre sauce, mais n’oubliez pas d’y inclure l’attribution (avec un lien sur notre site www.kefir.red) et d’alimenter le cercle de partages. Aussi, nous vous invitons à le faire de manière non capitaliste (pour que la valeur soit redistribuée dans toute la communauté).
Pour en savoir plus à ce sujet :
https://endefensadelsl.org/ppl_deed_es.html
http://wiki.p2pfoundathttps://www.apc.org/es/miembrosion.net/Peer_Production_License