Par Joy Liddicoat Éditeur IRHR Wellington,
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Les gouvernements du CDH se sont intéressés aux questions de l’internet plus vite que prévu et on peut penser légitimement que cet intérêt continuera d’augmenter. Mais il faut que plus d’acteurs entrent dans les discussions des gouvernements sur l’internet et les droits humains. Tant que ce ne sera pas le cas, la société civile devra continuer à chercher des points d’entrée stratégiques pour le plaidoyer au sein du CDH, et à s’entraider pour y arriver. Des actions concrètes et un suivi du Comité du CDH doivent être effectués avant la prochaine résolution annuelle sur la liberté d’expression et de l’internet. Le plus utile serait d’entamer une discussion thématique avec une approche de l’accès à l’internet basée sur les droits, notamment l’accès aux infrastructures, aux divers contenus et pour les divers groupes marginalisés.
Les choses ont bien avancé depuis mai 2011, quand le rapport de Frank La Rue [en anglais] a attiré pour la première fois l’attention du Conseil des Droits de l’Homme (CDH) de l’ONU sur la liberté d’expression et de l’internet. Ceux qui œuvrent chaque jour pour les droits et libertés de l’internet ont du mal à croire que le CDH ne fasse que commencer à s’intéresser à l’internet. En ce moment charnière entre la récente assemblée du CDH21 et le Forum de Gouvernance d’Internet en novembre 2012, il est temps de faire une pause pour examiner les faits : le bon, le mauvais, ce que font les gouvernements et la société civile, et réfléchir aux enjeux.
Un an dans la vie de l’internet aux Nations Unies
2012 a bien commencé pour les défenseurs des droits de l’internet. En février le CDH a tenu le premier panneau de discussion sur le droit à la liberté d’expression et l’internet. [en anglais] Celui-ci s’est basé sur le travail de Frank La Rue et a semblé encourager en ce sens d’autres organes des droits humains de l’ONU. À la mi-2012 il était clair que les Rapporteurs spéciaux avaient repris à leur compte les questions des doits humains liés à l’internet, et notamment les Rapporteurs spéciaux chargés respectivement de la liberté d’association , des droits culturels , des “formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée“http://www.ohchr.org/EN/Issues/Racism/SRRacism/Pages/CallforsubmissionRacismandtheInternet.aspx , sans oublier une Réunion-débat sur les femmes défenseures des droits humains . Le 2 juillet, lors d’une résolution devenue annuelle sur la liberté d’expression et de l’internet, 85 pays ont signé la résolution apportée par la Suède (par rapport à 14 pays il y a deux ans) qui affirme une proposition simple, selon laquelle les droits humains doivent également s’appliquer en ligne. En septembre le résumé officiel du comité d’experts du CDH a été soumis au CDH et tous les yeux sont maintenant tournés vers ce qui en découlera.
Plusieurs autres tendances liées à l’internet ont vu le jour cette année. La première est partie du processus de révision périodique universelle, qui a rassemblé les défenseurs des droits humains et les militants de l’internet pour une évaluation de la performance en droits de l’internet de leurs gouvernements. En août 2012 il avait été réalisé dans une demi-douzaine de pays. Leur plaidoyer porte de plus en plus de poids, à un point tel, que les questions des droits internet ont été soulevées plus de 40 fois par divers gouvernements au cours des révisions de leurs pairs concernant leur performance en droits humains. La seconde tendance est apparue au Comité des Droits de l’Homme (qui supervise le PIDCP et d’autres traités), qui a commencé à s’intéresser spécifiquement au sujet de l’internet. En 2011 par exemple, le Comité a décrété que la liberté d’expression de l’Article 19 du PIDCP s’appliquait à l’expression sur l’internet. En 2012, des groupes de droits humains (dont beaucoup n’avaient aucune ou que peu d’expérience dans les questions des droits humains liés à l’internet) ont commencé à réfléchir à ce sujet et se sont tournés, certains pour la première fois, vers les militants de l’internet pour leur demander leur avis.
Les implications
Le point le plus positif de ce Comité du CDH a été l’ouverture du dialogue parmi les gouvernements. Les réponses de certains gouvernements étaient prévisibles (notamment celles de ceux qui plaident pour la liberté d’expression et ceux qui mettent en avant des restrictions légitimes comme le racisme ou les raisons de sécurité nationale), mais le dialogue s’est avéré étonnamment réfléchi. Le degré de consensus face à l’application des mêmes droits accordés aux gens hors ligne lorsqu’ils sont connectés à l’internet en a pris plus d’un par surprise. Les déclarations et questions réfléchies de nombreux gouvernements démontrent le niveau d’intérêt et la qualité des discussions. Souvent les gouvernements se montrent mesurés et prudents, certains ne sachant tout simplement pas comment remplir au mieux leurs obligations concernant les droits humains dans l’ère numérique. Ceci est donc un bon signe, qui montre un désir de réflexion approfondie sur les implications des questions liées à l’internet et leur application au cadre des droits humains, et que les gouvernements doivent prendre une position stratégique à ce sujet.
La résolution, maintenant annuelle, pour la liberté d’expression et l’internet est un point de départ dans ce sens qu’elle permettra d’évoluer vers un élargissement du concept des Droits de l’Internet sont des Droits Humains (IRHR) et un engagement plus approfondi. Mais cela ne sera possible que si elle est accompagnée d’actions pratiques et concrètes pour conserver les droits et libertés de l’internet actuels et empêcher les violations. Un consensus doit être obtenu parmi les gouvernements sur les questions de l’accès à l’internet, la liberté d’association en ligne, la meilleure pratique de suivi et de rapport des violations de droits liées à l’internet, et pour élargir le champ d’intérêt des droits civils et politiques à toute la gamme des droits économiques, sociaux et culturels.
Sans un tel suivi concret, tout cela n’aboutira à rien. On voit apparaître des situations inquiétantes comme l’augmentation des blocages de contenus (voir par exemple cet article [en anglais] selon lequel les gouvernements continueront d’agir plus vite que le CDH et que celui-ci sera incapable de rattraper son retard en la matière). Pour parer à cela et s’assurer des actions de suivi positives de la part des gouvernements au sein du CDH, il est essentiel de compter sur un fort réseau de groupes de la société civile qui soit en mesure d’effectuer la surveillance, le plaidoyer et d’agir pour exiger aux gouvernements qu’ils prennent leurs responsabilités dans l’écosystème de la gouvernance de l’internet.
Cependant la société civile est peu présente dans les discussions du CDH et les groupes présents doivent donc avoir un plaidoyer fort et une bonne organisation s’ils veulent être entendus. Par ailleurs, parmi les groupes de la société civile, seul un petit nombre a accès au processus général du CDH, ceux qui disposent de ressources suffisantes pour participer et travailler à long terme avec les autres, ou qui sont présents physiquement à Genève ou New York. Des groupes comme Forum Asia et Reporters Sans Frontières réalisent un travail important en associant les questions de droits humains liés à l’internet à leur travail de plaidoyer partout où cela est possible. Mais la nature même des sujets défendus par les groupes principaux pour les droits humains est si vaste, si complexe et si urgente à résoudre qu’il est difficile de porter à leur attention de nombreux sujets liés à l’internet. Dans la réalité, seule une poignée de groupes et réseaux spécifiquement tournés vers l’internet participe activement au CDH. Par contre, beaucoup suivent ce travail avec intérêt et l’exploitent dans leurs réunions régionales et nationales et dans leur élaboration d’appels à l’action (voir par exemple cet article).
Les militants de l’internet assistent jour après jour à l’érosion de leurs droits en ligne. Ils craignent qu’au CDH les gouvernements n’utilisent le cadre des droits humains pour affirmer leur autorité morale ou autre et augmenter leur contrôle sur la gouvernance de l’internet. Par exemple, lorsqu’ils affirment avoir la responsabilité de la protection des droits de leurs citoyens, les gouvernements devraient avoir un plus grand pouvoir (de décision et de contrôle en particulier) lors des débats dans les forums multipartites.
En ce sens, la force de ces processus du CDH (pour susciter un consensus parmi les gouvernements) est aussi leur grande faiblesse. Le CDH n’est pas un forum multipartite mais intergouvernemental. Les groupes de la société civile peuvent y participer sous des conditions très strictes et selon des règles complexes. L’Internet Society qui s’intéresse depuis récemment au CDH, a réalisé un bon apport technique en ce sens.
Le secteur privé a un engagement très limité, en partie dû au refus du CDH d’autoriser la participation du secteur privé en règle générale, et en partie dû au secteur privé lui-même qui évite traditionnellement de s’engager dans les droits humains. Mais une connexion inadéquate a été établie entre les nouveaux Principes directeurs de l’ONU relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme et les débats sur les droits humains au CDH. L’incohérence de l’application des politiques de l’internet liées aux multinationales du secteur privé est de plus en plus mise en évidence. Il devient impératif que le secteur privé détermine quelle place il compte jouer dans les processus du CDH pour éviter la crise de confidence qui menace suite aux préoccupations tant des gouvernements que de la société civile. Pour les militants de la société civile, ces incohérences font obstacle à une bonne progression au CDH, notamment lorsque le principe d’universalité des droits humains est sapé par l’application individuelle de normes à niveau national par des entreprises du secteur privé contre laquelle la société civile se sent impuissante.
Conclusion
Cette année a été pleine de promesses : une année de débats de plus en plus intenses sur l’internet et les droits humains parmi les gouvernements et une plus grande utilisation des droits humains pour inciter à la responsabilité les gouvernements qui violent ces droits. Au CDH, les gouvernements ont pris en considération les questions liées à l’internet bien plus vite qu’on ne le pensait, et leur intérêt ne pourra qu’augmenter avec le temps. Mais les débats des gouvernements sur l’internet et les droits humains doivent inclure plus de parties prenantes. En attendant, la société civile doit continuer à travailler au sein du CDH pour trouver les points d’entrée stratégiques pour son plaidoyer et soutenir les autres groupes qui œuvrent en ce sens. Il faut mener des actions concrètes et un suivi du Comité du CDH avant la prochaine résolution annuelle sur la liberté d’expression et de l’internet. Le plus utile serait d’entamer une discussion thématique ayant une approche de l’accès à l’internet basée sur les droits, qui comprenne notamment l’accès aux infrastructures, l’accès aux divers contenus et pour les divers groupes marginalisés.
“Photo par Scazon”:http://www.flickr.com/photos/scazon/3055255012/sizes/l/in/photostream/. Utilsée avec permission sur la licence Creative Commons 2.0